“La discussion générale. Extraits des procès-verbaux du Comité Permanent des Lettres & des Arts. Musique et Film” and “Resolutions adoptées par le Comité Permanent des Lettres et des Arts”, in Les Arts et les Lettres à la Société des Nations. Première Session du Comité Permanent des Lettres et des Arts, Supplément au no. 7–8 du Bulletin de la Cooperation Intellectuelle. Paris: Institut International de Coopération Intellectuelle, [1931], 27–30.
Collected edition: –
Source: BBA
PREMIÈRE SESSION du COMITÉ PERMANENT des LETTRES et des ARTS
Les Arts et les Lettres
Société des Nations
de MM. Paul VALÉRY et Henri FOCILLON DÉBATS ET DISCUSSIONS PAR
John MASEFIELD Gilbert MURRAY Ugo OJETTI
Georges OPRESCO Ragnar OSTBERG Roberto PARIBENI
“Gonzague de REYNOLD Mme Nini ROLL-ANKER Josef STRZYGOWSKI Mlle Hélène VACARESCO Paul VALÉRY
INSTITUT INTERNATIONAL PE COOPÉRATION INTELLECTUELLE
2, Rue de Montpensier – Palais-Royal — Paris Ier
à la
PROPOSITIONS
Bela BARTOK Karel CAPEK
A. COSTA DU RELS Jules DESTRÉE Henri FOCILLON Thomas MANN
Supplément au n° 7-8 du Bulletin de la Coopération Intellectuelle
de ceux que MM. Pau] Valéry et Focillon ont délimités, le Comité prendrait d’un seul coup la position qui lui revient.
M. Ojetti prie donc MM. Paul Valéry et Focillon d’indiquer d’ores et déjà deux ou trois thèmes de discussion et il demande au Président de bien vouloir chercher le moyen pour les membres de correspondre entre eux et d’atteindre également ceux qui ne font pas partie du Comité.
Si le Comité des Lettres et des Arts réussit à devenir en quelque sorte le ferment qui poussera le monde à penser, il aura fait oeuvre utile et ses efforts n’auront pas été vains.
Il termine en exprimant l’espoir que la crise économique actuelle pourra avoir pour résultats de diminuer, même en Amérique, cette domination du « mécanique » dans le monde et que la poésie aura « le temps d’en sortir, comme cela s’est passé à l’origine de la civilisation européenne. Alors il n’y aura plus à désespérer de l’avenir de l’homme ».
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Comme suite à cette discussion, le Comité adopte la Résolution générale (voir page 47) recommandant à la Commission et à l’Institut de Coopération intellectuelle de provoquer « une correspondance entre les représentants qualifiés de la haute activité intellectuelle », de « publier périodiquement cette correspondance » qui portera sur « les questions les plus propres à servir les intérêts communs de l’intelligence et de la Société des Nations » et « d’organiser des entretiens entre des esprits du même ordre » entretiens qui seront également publiés par l’Institut.
On voit par là que le Comité permanent des Lettres et des Arts se propose deux ordres d’activité : une activité technique sur quelques problèmes définis de coopération en matière de Lettres et de Beaux-Arts dont l’étude serait confiée aux organismes spécialisés de la Société des Nations, et une action plus générale d’ordre spirituel.
Musique et Film
M. Béla Bartok ne voit pas dans la mécanisation de la musique un danger pour l’art, à qui, en l’état actuel des choses, elle peut faire plus de bien que de mal. Malheureusement les compagnies éditrices de disques qui sont maîtresses de tout ce qui se fait en
matière ‘d’enregistrement ne sont guidées que par. des motifs d’intérêt commercial, de sorte qu’une bonne partie des ressources que la mécanisation représente pour l’art restent inutilisées. L’on sait que la notation musicale ne fixe qu’approximativement la pensée du compositeur ; ce n’est que par les procédés mécaniques qu’il est possible de faire connaître avec une exactitude presque parfaite ses intentions à la postérité. L’on sait également que les compagnies gramophoniques n’enregistrent que celles des oeuvres des grands compositeurs qui leur; paraissent pouvoir être écoulées dans le public ; il s’ensuit qu’un grand nombre d’oeuvres contemporaines importantes ne sont pas enregistrées et ne le seront pas tant que subsistera certaine atmosphère défavorable à celles-ci. Il y aurait donc le plus grand intérêt à enregistrer dès maintenant des oeuvres de maîtres contemporains exécutées par eux-mêmes ou réalisées sous leur surveillance. Il serait presque aussi important de perpétuer les exécutions données par les grands artistes d’oeuvres des époques antérieures. Les moyens de le faire existent ; il serait donc impardonnable de n’en pas profiter. A défaut des compagnies éditrices, il faudrait qu’une autorité internationale, comme la Société des Nations, le tentât et c’est pourquoi M. Béla Bartók propose ce qui suit :
La Commission des lettres et des arts devrait examiner la possibilité de constituer une collection de disques et de ‘films sonores qui serait placée sous l’égide de la Société des Nations. Cette collection devrait comprendre :
1) Des enregistrements des oeuvres les plus importantes de la
musique contemporaine effectués sous la surveillance du compositeur.
2) Des enregistrements des oeuvres les plus importantes des
époques antérieures effectués sous la direction de spécialistes d’une compétence reconnue.
3) Les enregistrements prévus dans la proposition de M. Capek.
La liste des oeuvres à enregistrer devrait être dressée par des spécialistes impartiaux (historiens de la musique, musicologues, à l’exclusion des compositeurs et des exécutants). A cet effet, M. Béla Bartok propose que les quatre pays les plus importants à l’heure actuelle au point de vue musical, à savoir l’Italie, la France, l’Allemagne et l’Angleterre désignent chacun deux spécialistes. Ceux-ci seraient chargés de dresser chacun deux listes. Dans la première, figureraient les oeuvres contemporaines de tous les pays considérées
par eux comme les plus importantes et dans la deuxième, les oeuvres les plus importantes des temps passés, en remontant jusqu’à l’apparition de la musique, en tant qu’art, en Europe. Ils indiqueraient également sur cette dernière liste les artistes exécutants qu’ils estiment les plus qualifiés pour diriger chacune des oeuvres. Ce sont les oeuvres apparaissant le plus souvent sur ces huit listes qu’il conviendrait d’enregistrer les premières.
En ce qui concerne l’acquisition des disques, l’on pourrait procéder ainsi qu’il suit :
1) On demanderait aux compagnies éditrices de remettre, à
titre gratuit, un nombre d’exemplaires suffisant des disques de valeur déjà existants.
2) Quant aux oeuvres non encore enregistrées, on ferait appel
à l’esprit de désintéressement des diverses compagnies pour qu’elles en donnent une édition gramophonique. Ou bien on pourrait essayer de trouver les fonds nécessaires à ce genre d’entreprise afin qu’on puisse faire face aux frais d’enregistrement.
M. Béla Bartók met ensuite en parallèle sa proposition et celle de M. Capek. Après avoir montré que la catégorie indiquée par celui-ci rentre dans les classes qu’il a lui-même établies, il signale le danger d’accueillir, comme musiques authentiques des airs, chansons, etc… composés à l’intention des. Européens et répandus sur le continent par des chanteurs ou exécutants arabes, japonais, etc… Il conviendra de faire là oeuvre scientifique et de se méfier du pseudo-exotisme.
Enfin, l’on devrait inciter les gouvernements à constituer dans les conservatoires nationaux des discothèques destinées, entre autres, à des buts pédagogiques.
M. Thomas Mann déclare que l’on aurait tort de s’élever avec trop de pharisaïsme pour des raisons purement sentimentales contre la mécanisation de l’art : cet envahissement de la mécanique dans le domaine de l’art et plus particulièrement dans celui de la musique est un fait devant lequel il n’y a qu’à s’incliner.
M. Thomas Mann, allant plus loin, ajoute que le projet relatif à la musique, qui vient d’être soumis aux membres du Comité, pourrait être développé et étendu au cinématographe. On pourrait objecter que la question du film risque de soulever des difficultés d’ordre politique ; malheureusement, de notre temps, il est presque
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impossible de séparer la politique et les arts. M. Thomas Mann n’a pas de proposition concrète à soumettre mais il se demande si, plus tard, il ne serait pas possible pour le Comité d’exercer son influence en vue d’obtenir l’interdiction d’un film dont les effets sur la masse paraîtraient désastreux ou, au contraire, de faire lever l’interdiction pesant sur un film que le Comité jugerait digne d’être projeté. On objectera qu’une telle intervention constituerait une certaine atteinte à la souveraineté nationale, mais M. Thomas Mann répond qu’une entente entre les pays est impossible sans certains renoncements. D’ailleurs, plusieurs pays se sont déjà montrés prêts à abandonner quelques-unes de leurs prérogatives au profit de l’intérêt de l’humanité. Si ce projet paraît aujourd’hui utopique, l’orateur espère qu’il sera possible de le reprendre au bout d’un certain temps.
Mlle Vacaresco appuie la déclaration de M. Thomas Mann et se déclare heureuse que la question du cinématographe ait été posée devant ce Comité. Elle estime que le cinématographe, malgré ses progrès, n’occupe pas encore la place qu’il aura inévitablement dans l’avenir ; le monde futur, dit-elle, sera ce que le cinématographe l’aura fait.
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En conséquence, le Comité permanent des Lettres et des Arts adopte trois résolutions (voir pages 48-49) relatives à la musique enregistrée, aux émissions radiophoniques et au film éducatif. L’Institut de Coopération intellectuelle est chargé de recueillir les renseignements sur les collections de musique enregistrée déjà existantes et de soumettre cette documentation à un Comité d’experts. Il est également chargé d’étudier, en accord notamment avec l’Union internationale de radiodiffusion, les moyens de faire établir des programmes internationaux de radiodiffusion de manière qu’ils fassent « connaître au public la musique choisie des différents peuples ». Enfin, l’attention de l’Institut international du cinématographe éducatif de Rome est attirée sur l’intérêt qu’il y aurait à obtenir, dans les programmes des représentations cinématographiques, l’insertion des films de caractère éducatif.
RESOLUTIONS
ADOPTÉES PAR LE COMITÉ PERMANENT DES LETTRES ET DES ARTS
i. Résolution générale.
Au moment où il commence ses travaux, le Comité permanent des Lettres et des Arts tient à exprimer les principes de son activité :
La Société des Nations suppose une société des esprits.
Elle doit unir ceux qui accroissent la vie de l’esprit, en créant des idées, en inventant des formes et des combinaisons de pensées, en découvrant et en interprétant des faits.
La Société des esprits se manifeste par des échanges spontanés.
A une époque où la grandeur et le prestige des progrès techniques risquent d’égarer les consciences et provoquent des inquiétudes sur le sens et l’avenir de la civilisation, il est nécessaire de donner aux échanges de la pensée plus d’ordre, de force et de constance.
Le Comité permanent recommande à la Commission de Coopération intellectuelle et à l’Institut :
a) de provoquer une Correspondance entre les représentants qualifiés de la haute activité intellectuelle, analogue aux relations de pensées qui se sont toujours établies par ce moyen, particulièrement aux grandes époques de la vie européenne ;
de choisir les questions les plus propres à servir les intérêts communs de l’intelligence et de la Société des Nations ;
de publier périodiquement cette correspondance ;
b) d’organiser des Entretiens entre des esprits du même ordre sur des problèmes dont le programme sera fixé, par exemple : rapports de l’ordre intellectuel et de l’ordre technique, action intellectuelle et recherches spécialisées, buts de l’éducation — en un mot tout ce qui peut servir à une haute définition de l’homme et de la civilisation ; l’Institut assurera également la publication de ces entretiens ;
c) d’étudier les moyens d’assurer dans la vie générale, dans l’ordre social, dans l’ordre économique et dans l’ordre politique, la représentation et l’action de l’ordre intellectuel ;
d) de provoquer des réunions destinées à faire connaître les buts, les méthodes et les résultats de la Coopération intellectuelle.
- Collections de musique enregistrée.
Le Comité permanent des Lettres et des Arts, saisi des propositions de MM. Béla Bartok et Karel Capek, appelle l’attention de la Commission internationale de Coopération intellectuelle sur l’intérêt que présenteraient des collections choisies, nationales ou internationales, de musique enregistrée,
La prie d’inscrire cette question à son programme et de charger l’Institut, comme mesure préliminaire, de recueillir des renseignements sur les collections de musique enregistrée déjà existantes et qui sont à la disposition du public ;
Estime qu’il serait utile de soumettre la documentation ainsi recueillie à un comité restreint d’experts.
Ce dernier, sur la base de la documentation ainsi recueillie, présenterait au Comité des Lettres et des Arts, lors de sa prochaine session, des propositions sur les meilleurs moyens d’utiliser les collections actuellement existantes et de provoquer de nouvelles créations.